Quand la créativité électro se réinvente : état des lieux

L’électro, ce courant insaisissable qui n’en finit jamais de muter, d’absorber, de recracher, de faire danser les synapses autant que les pieds. Chaque mois, entre une pluie de sorties plus ou moins calibrées, il y a un disque, un EP, ou simplement un track, qui fait hocher la tête, hausse les épaules, ou décroche ce sourire coupable de “waouh, d’où sort ça ?”.

En juin 2024, un projet a clairement retourné les pistes et les playlists : Parra for Cuva – Mimose. Oui, le berlinois à l’écriture feutrée, capable de transformer chaque boucle en rêve éveillé, vient de frapper un grand coup – et l’effet de surprise fait écho dans toute la scène électro indépendante.

Qui se cache derrière ce projet venu de Berlin ?

Nicolas J Gundlach, alias Parra for Cuva, est déjà bien connu des diggers qui aiment leur électro habillée de soie et parcourue de frissons downtempo. Après son succès critique avec l’album Juno (2022) – finaliste des Schallwelle Awards outre-Rhin – il a fait patienter son monde avec quelques singles en suspension (Revar avec Whithe, ou Mimose en éclaireur). Mais c’est bien la sortie de l’album complet, début juin 2024, qui redistribue les cartes.

Pourquoi tant d’excitation ? Parce que Parra for Cuva évite la redite confortable, choisissant au contraire d’intégrer de nouvelles influences mondiales à son écriture : instruments traditionnels samplés et enregistrés sur des road-trips en Amérique du Sud, textures organiques issues de synthés modulaires (pas seulement pour la frime), field recordings captés aux quatre coins du monde. Un album pensé comme une traversée sensorielle, plus proche d’une série documentaire sur Arte que de la simple chillwave pour apéro estival.

Mimose : la surprise d’une électro organique et voyageuse

Un kaléidoscope sonore entre Andes, Afrique de l’Ouest et Berlin-Est

On l’écrit sans détour : peu de disques ce mois-ci affichent une identité aussi marquée. Sur Mimose, Parra for Cuva tisse des liens entre la cumbia sud-américaine, la musique mandingue ouest-africaine, et la chill techno venue de la Spree. À la première écoute, “Mimose” (le titre éponyme) frappe par la chaleur des guitares enregistrées à Cali, sublimées par des percussions en field recording collectées lors d’un voyage au Ghana (source : XLR8R Interview juin 2024).

  • Le titre "Sombra" cite la bossa nova mais fusionne avec une rythmique breakée façon UK garage.
  • Sur "Lomé", les claviers analogiques s’entrelacent avec un balafon samplé au marché de Lomé, formant un mélange inédit entre électro mélancolique et groove tribal.
  • "Tashkent" compile des notes de oud enregistrées chez une famille d’Ouzbékistan, pour les perdre dans un paysage ambient.

Ce métissage n’est pas gadget : il structure l’album, qui s’écoute comme un carnet de bord sonore. Enregistré entre Berlin, l’Équateur, le Ghana et l’Ouzbékistan, Mimose revendique une réelle démarche documentaire, loin de l’exotisme basique qui peut polluer certains projets électro-world.

Chiffres et réception : un buzz rare dans la scène alternative

Au bout d’une semaine, Mimose comptait déjà plus de 4 millions de streams sur Spotify, avec un pic d’auditeurs à +60 % par rapport à la sortie de l’album précédent (charts.de). Du côté des ventes vinyles, l’édition limitée pressée à la main par le label Project Mooncircle affichait complet en moins de 8 heures – véritable exploit à l’ère du tout digital (source : Project Mooncircle).

Autre signe de l’impact : même la presse généraliste s’empare du phénomène. De Les Inrocks à Resident Advisor, chaque média souligne l’audace et la cohérence, la capacité à éviter le cliché ou la simple rêverie planante.

Qu’est-ce qui rend Mimose si unique ? Décryptage des trouvailles sonores

  • Des voix peu trafiquées. Exit l’auto-tune omniprésent ou les samples anonymes. Parra for Cuva invite des chanteurs traditionnels de Quito ou d’Accra, captant la sincérité d’un bout de refrain chanté à la volée.
  • Une production qui respire. Le mixage – confié à Zino Mikorey, déjà à l’œuvre pour Nils Frahm – privilégie l’espace, laissant entendre à la fois le souffle des prises et la richesse des fréquences basses.
  • Des pochettes artisanales. Chaque visuel de single a été réalisé en collaboration avec des artistes locaux rencontrés lors du voyage, perpétuant une tradition graphique chère aux labels indé berlinois (cf. la page Instagram du projet : @parra.for.cuva).
  • Des titres qui racontent un vrai périple. Plutôt que d’aligner une tracklist anonyme, l’album fait voyager dans une dizaine de pays, matérialisant l’idée du “road trip électronique”.

Les titres à ne pas manquer : mes recommandations dans la tracklist

  1. Mimose : premier extrait, déjà playlisté sur TSF Jazz et Radio Nova – ambiance suspendue entre chill et folklore andin.
  2. Lomé : titre uptempo, cliquetis et groove, idéal pour l’été, sample rare traité façon Chicago house allégée.
  3. Tashkent : track ambient, parfait pour les amateurs de Nils Frahm ou Jon Hopkins période Immunity.
  4. Revar (with Whithe) : entre deep UK garage et world, un titre déjà repéré dans plusieurs playlists internationales (Wild City).

Chaque morceau est pensé comme une narration : changements de bpm, breaks inattendus, ça glisse sans jamais lasser. Pas étonnant que certains DJs s’en emparent, de Gilles Peterson (BBC) à Lefto (Kiosk Radio).

L’avenir de l’électro se joue-t-il hors des clubs ?

Le décollage de Mimose pose une question : l’électro la plus créative doit-elle encore se vivre en club, ou sur casque, en pleine rando, au détour d’un marché lointain ? Les DJ sets de Parra for Cuva en 2024 – souvent bookés dans des friches, des salles alternatives mais aussi en festival jazz – témoignent d’une nouvelle hybridation.

Quelques chiffres :

  • Plus de 35 dates programmées entre juin et fin août 2024, dont 12 festivals hors Europe (source : Resident Advisor Agenda).
  • Un public très large, la moitié des auditeurs Spotify ont moins de 30 ans (Spotify for Artists).
  • Des collaborations prévues avec des collectifs jazz (Berlin Jazz Open) et afrobeat (Accra Music Meet Up).

Au-delà des tendances : l’électro qui raconte des histoires

Parra for Cuva, comme d’autres scènes électro émergentes (on pense à Sofie Birch au Danemark ou à Loraine James à Londres), prouve qu’on peut réenchanter l’électro par le récit, la rencontre culturelle, le grain de voix unique. C’est là que la scène alternative garde un coup d’avance. Et ce mois-ci, Mimose s’est imposé comme la bande-son idéale pour quitter la route balisée, et danser sur ses propres surprises.

Envie de creuser ? À écouter d’urgence : l’album complet sur Spotify, et pour les noctambules, un live entièrement capté dans une église berlinoise, à retrouver sur YouTube.

L’électro la plus créative ne prévient jamais. Ce mois-ci, elle vient d’ailleurs, sans jamais oublier d’où elle part.

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