La discrétion du folk français : panorama d’une ombre

Le folk made in France n’a jamais été roi des ventes : rarement programmé en prime time, souvent réservé aux marges, il pose sa voix sans tapage. Par exemple, entre 2005 et 2015, moins de 5% des sorties folk françaises ont été chroniquées dans les grands médias nationaux selon Les Inrocks. Résultat : des chefs-d’œuvre sont nés, ont vécu, puis se sont évaporés, sans jamais rencontrer leur public.

  • Réseaux de distribution modestes : la majorité des albums folk sortent sur des micro-labels, ou directement en autoproduction. Des exemplaires pressés parfois à moins de 500 copies (donnée : Magic RPM).
  • Promotion minimaliste : budgets serrés, absence de tourneur, radios frileuses… Le folk hexagonal se faufile, mais ne s’impose pas.
  • Barrière de la langue : l’anglais reste souvent privilégié, mais le public français ne suit pas toujours, et vice-versa pour l’étranger.

Pourtant, ces disques négligés cachent bien des richesses. Avis aux esprits curieux : la suite vaut bien un aparté dans votre journée.

Des disques fantômes : cinq albums à (re)découvrir d’urgence

1. Gontard! – “2028” (2017)

Oui, six ans après sa sortie, “2028” reste étrangement absent des conversations. Bricoleur sonore d’un Grenoble pluvieux, Gontard! installe dans cet album une poésie brute, quelque part entre folk lo-fi à la Daniel Johnston et chronique sociale à la française. Le titre “Ne m’en veux pas” (24 000 écoutes sur Spotify à fin 2023 selon Spotify Stats) n’a jamais dépassé le circuit indé, alors qu'il propose un condensé d’émotions, sans langue de bois, trempé dans l’ironie douce-amère de l’époque.

  • Année de sortie : 2017
  • Label : Ici d’Ailleurs
  • Tirage initial estimé : moins de 800 exemplaires vinyle
  • Pourquoi il est passé à travers : peu de passage radio, couverture médiatique très limitée (une chronique dans Les Inrocks, puis plus rien)

Source : Les Inrocks

2. Thos Henley – “Royal Oak” (2012)

Anglais d’origine, mais adopté par la scène parisienne, Thos Henley a tissé avec “Royal Oak” un album à la lisière de la folk pastorale et de la chanson pop rêveuse. Pourtant, malgré quelques premières parties de Peter Von Poehl, l’album est resté dans une brume discrète : tiré par le single “The Walled Garden”, le disque peine à franchir les 4000 ventes en trois ans selon une interview de l’artiste dans Le Cargo!.

  • Année de sortie : 2012
  • Label : Le Pop Musik
  • Tirage initial : 1500 CD
  • Couverture média : principalement sur des blogs indépendants, inédit sur France Inter à sa sortie

Source : Le Cargo!

3. Benoît Dorémus – “2020” (2020)

L’année 2020 fut étrange pour tout le monde, et l’album éponyme de Benoît Dorémus n’a pas échappé à la vague d’indifférence générale. Pourtant, dans la veine d’un folk urbain à la Souchon, Dorémus livre ici l'une de ses œuvres les plus abouties en autoproduction. “Dans l’air”, chanson-fleuve blottie au creux du disque, ne comptabilisait que 3400 streams sur Deezer six mois après la sortie (Deezer Charts). La tournée fut annulée, le disque a flotté dans le silence imposé par le contexte sanitaire.

  • Année de sortie : 2020
  • Autoproduction
  • Vente estimée (2020-2022) : moins de 2000 exemplaires physiques
  • L’absence totale de diffusion radio et un contexte sans concerts ont irrémédiablement pesé.

Source : France Info

4. Red – “33” (2002)

Présenté à l’époque comme l’OVNI folk de la scène nantaise, l’album “33” s’est perdu dans un paysage saturé de néo-chanson et d'électro-pop. Porté par la voix feutrée de Pierre Omer, le disque épouse une folk minimaliste, très influencée par Leonard Cohen et Nick Drake. Peu distribué (300 vinyles numérotés seulement, chiffre donné par le label Ici d’Ailleurs), l’album fut salué d’une chronique dans Magic!, puis oublié aussi vite qu’une étoile filante.

  • Année de sortie : 2002
  • Label : Ici d’Ailleurs
  • Tirage total : 800 CD / 300 vinyles
  • Actuellement introuvable en streaming légal

Source : Magic RPM

5. Emily Loizeau – “Pays Sauvage” (2008)

La Renaissance folk de 2008 a vu de nombreux albums émerger, mais peu sont passés par la grande porte. “Pays Sauvage” d’Emily Loizeau, disque de transition entre langue française et folk anglo-saxon, paraît au mauvais moment : à l’ombre du raz-de-marée Camille et d’une radio qui préfère le format pop. Malgré une nomination au Prix Constantin, l’album n’a pas dépassé les 15 000 copies vendues en deux ans (syndicat SNEP), chiffre modeste eu égard à son ambition et à la richesse des arrangements.

  • Année de sortie : 2008
  • Label : Polydor
  • Vente globale estimée : 15 000 exemplaires (SNEP)
  • Ses chansons, reprises à la scène par des artistes comme Albin de la Simone ou Moriarty, sont devenues cultes dans les cercles d’initiés.

Source : Le Monde

Ce que racontent ces oublis : l’alchimie fragile du succès folk

Qu’ont en commun ces albums oubliés ? Une fragilité, sans doute. Une sincérité qui se fiche des modes, un grain de voix mal assorti à la voracité du marché - et parfois, juste une mauvaise heure au mauvais endroit. L'industrie, frileuse face aux risques, préfère l’assurance des valeurs sures… laissant ces disques sur le pas de la porte.

  • Le public folk français reste confidentiel : la majorité des têtes d’affiche ne dépassent pas les 10 000 ventes en 10 ans (SNEP).
  • Quelques sorties deviennent des cultes de l’ombre, collectionnés, réédités en vinyle à prix d’or dix ans plus tard.
  • De nombreux artistes, faute de relais, recyclent leurs titres ou s’essaient à d’autres styles pour espérer exister au grand jour.

Vibrations à retrouver : se réapproprier une histoire singulière

Aujourd’hui, la magie du streaming et l’appétit des curieux remettent ces albums sur la route, comme des lanternes allumées après la tempête. Écouter ces disques oubliés, c’est redonner voix au silence, et tisser un lien précieux avec le cœur battant de la scène folk française. Les injustices ne disparaissent pas d’un riff doux ou d’une ballade feutrée, mais elles deviennent prétexte à une quête inlassable : celle du frisson authentique, caché sous la poussière.

Si l’on devait remercier ces albums pour leur discrétion, ce serait pour le cadeau qu’ils représentent à ceux qui prennent le temps de les trouver. Car l’ombre, lorsqu’on s’y attarde, recèle souvent les plus belles couleurs du spectre musical français.

Playlists, écoute attentive et flair de digger conseillés : la chasse aux perles folk ne fait que commencer.

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