Introduction : Frissons dans les interstices du folk

Le folk, c’est le murmure des histoires qu’on murmure au coin du feu, les arpèges qui réchauffent les insomnies, la vibration commune entre âmes solitaires. Pourtant, sous les étoiles de Dylan, Joni Mitchell ou Nick Drake, se cachent des disques qui ont voyagé en marge, effleuré quelques tympans puis retombé dans le feutre de l’oubli. Disséminés dans les bacs poussiéreux ou lancés comme des bouteilles à la mer par des labels confidentiels, ces albums cultes ou fugitifs attendent d’être cueillis à nouveau.

Voici dix albums folk, éclipsés ou négligés, qui respirent la sincérité brute. Dix passerelles vers des paysages sonores hors du temps, à (re)découvrir sans modération.

Pourquoi certains albums folk sombrent-ils dans l’oubli ?

  • Contexte de sortie défavorable : Albums écrasés par la hype disco, le rock FM ou la vague punk, souvent parus à contresens du vent médiatique.
  • Distribution confidentielle : Majorités édités par de petits labels (Vanguard, ESP-Disk, Takoma…) ou auto-produits à quelques centaines d’exemplaires.
  • Refus du formatage : Des artistes trop sincères pour plaire à la radio, ou qui s’aventurent hors des dogmes du genre.
  • Évitement médiatique : Parfois, ce sont les artistes eux-mêmes qui fuient la lumière — par timidité, choix de vie ou hostilité à l’industrie.

Des albums dorment ainsi, dans les discographies secondaires, derrière des pochettes anonymes. Mais certains, sortis de l’ombre par le bouche-à-oreille, Internet ou des rééditions amoureuses, reprennent une vie nouvelle.

La sélection : 10 albums folk à sortir de l’ombre

  • Judee Sill – “Heart Food” (1973)

    Oubliée du circuit officiel, cette Américaine signée sur Asylum Records fut la première à sortir un album sur le même label que Joni Mitchell ou Tom Waits. “Heart Food”, son second opus, regorge d’arrangements baroques et de textes empreints d’une spiritualité mystique. Ce disque, boudé à sa sortie, a depuis été adoubé par Fleet Foxes ou Father John Misty (Pitchfork). Son chef-d’œuvre “The Kiss” a récemment dépassé les 10 millions d’écoutes sur Spotify — un miracle tardif qui la replace sur la carte du folk céleste.

  • Linda Perhacs – “Parallelograms” (1970)

    Enregistré en 1970 par cette hygiéniste dentaire californienne, “Parallelograms” se perdra dans les limbes après une première édition confidentielle (moins de 1000 exemplaires distribués selon The Guardian). Son folk psychédélique est aujourd’hui samplé par Prefuse 73 et son influence revendiquée par Devendra Banhart ou Julia Holter. Les rééditions successives font de cet album un authentique feuilleton du revival psych-folk.

  • Vashti Bunyan – “Just Another Diamond Day” (1970)

    Quand cet album sort au Royaume-Uni, il s’écoule à... 1 000 exemplaires. Un désastre commercial qui lui vaudra de disparaître des radars pendant plus de 30 ans. Pourtant, ce disque pastoral et d’une douceur déconcertante fascinera une nouvelle génération d’artistes folk comme Joanna Newsom ou Sufjan Stevens. Le morceau titre cumule aujourd’hui plus de 3 millions d’écoutes sur Spotify (NME).

  • Jackson C. Frank – “Jackson C. Frank” (1965)

    Produit par Paul Simon et enregistré en une seule prise, cet unique album s’est vendu à quelques centaines d’exemplaires. Son auteur, marqué à vie par un drame d’enfance, y dévoile une voix à fleur de peau et des textes d’une noirceur bouleversante (“Blues Run the Game” figure même au générique de la série “This Is Us”). Redécouvert grâce à la BBC et au bouche-à-oreille d’artistes comme Nick Drake ou Bert Jansch, il règne désormais sur le folk mélancolique.

  • Diane Cluck – “Oh Vanille / Ova Nil” (2004)

    Sorti en autoproduction aux débuts du mouvement antifolk new-yorkais, cet album flirte avec l’underground. La voix singulière de Diane Cluck, son fingerpicking atypique, et ses harmonies translucides sont salués par NPR ou Pitchfork (NPR). Mais le grand public ne suit pas. Ironie du sort : ses fans, dont Devendra Banhart, célèbrent aujourd’hui ce disque comme une pépite indispensable.

  • Mark Fry – “Dreaming With Alice” (1972)

    Précurseur du “British acid folk” mais quasi inconnu à l’époque en dehors de l’Italie où l’album a été pressé, ce voyage psyché acide ressurgit lors de la folie « folk weird » des années 2000. Depuis, il est régulièrement cité par les diggers les plus pointus (The Quietus).

  • Nick Garrie – “The Nightmare of J.B. Stanislas” (1969)

    Un album franco-britannique qui échappe aux radars : sabotage de manager, pressage limité à 1000 copies… Mais une perle mélodique fascinante, célébrée après coup par The Divine Comedy et la scène indie européenne. Réédité en 2005 avec le soutien de l’auteur lui-même (The Guardian).

  • Karen Dalton – “In My Own Time” (1971)

    Figure énigmatique, amie de Dylan et Fred Neil, Dalton n’a jamais cherché les projecteurs. Sa voix féline et déchirée, son banjo rugueux : un folk traversé de blues douloureux. “In My Own Time”, avec sa pochette champêtre, gagnera le respect posthume de multi¬tudes : Lucinda Williams, Lenny Kaye ou Bob Dylan lui rendent régulièrement hommage (Pitchfork).

  • Sibylle Baier – “Colour Green” (1970s, released 2006)

    Enregistré dans le salon familial en Allemagne, ces chansons dormaient dans une boîte à chaussures. C’est le fils de Sibylle qui enverra les bandes à J Mascis (Dinosaur Jr.), qui transmettra l’album à Orange Twin Records en 2006. Depuis, “Colour Green” a conquis Internet (plus de 5 millions d’écoutes cumulées) et la scène “bedroom folk” (NPR).

  • Bert Jansch – “Birthday Blues” (1969)

    Plus connu comme membre fondateur de Pentangle ou pour sa carrière solo prolifique, Bert Jansch reste curieusement sous-estimé hors du cercle des puristes. “Birthday Blues” évoque mieux que tout autre son virage vers l’intime et la fusion folk-blues, avec un songwriting précurseur et audacieux selon Mojo.

On se perd (volontairement) dans la brume : Pourquoi ces albums méritent-ils une seconde vie ?

  • Univers intemporel : Ces albums résistent mieux que d’autres aux diktats de l’époque, donnant la sensation de voyager hors du temps, un peu comme une vieille pellicule Super 8 retrouvée dans un grenier.
  • Sincérité à fleur de peau : Pas de studio tape-à-l’œil, pas de production aseptisée. La voix y craque, la guitare hésite : chaque imperfection transforme l’écoute en confession.
  • Écho contemporain : Redécouverts, samplés ou repris par Fleet Foxes, Sufjan Stevens, Cat Power, Feist, Devendra Banhart… Toutes ces voix modernes sont les héritières de cette sensibilité.

Loin de n’être que des curiosités pour collectionneurs, ces albums inspirent les artistes actuels, nourrissent les plateformes d’écoute et se transmettent comme des talismans.

Conseils pour digger à l'ancienne ou à la mode 2.0

  • Plonger dans les rééditions : Labels comme Light in the Attic, Numero Group ou Finders Keepers miroitent ces raretés en vinyle ou digital. Ces maisons font office de passeurs modernes.
  • Explorer Bandcamp: Certains de ces disques sont réédités par les ayants-droit, avec parfois des titres inédits ou des livrets détaillés.
  • Fouiller les blogs et chaines YouTube: Des plateformes comme Aquarium Drunkard, Le Gospel, Folk Radio UK ou encore les playlists « Cosmic Folk » sur YouTube sont de vraies mines d’or pour creuser la surface.
  • Lire la presse spécialisée : Mojo, Uncut, Les Inrocks, Rock & Folk ou Pitchfork ont tous publié des dossiers sur ces ovnis oubliés.

Le folk redéfini : la perpétuelle renaissance des voix oubliées

Les disques folk perdus n’appartiennent plus à leur époque. Ils parlent à la nôtre, ressurgissant grâce à la force des rééditions, à la curiosité jamais rassasiée des diggers et à la magie d’Internet. D’ailleurs, le folk est-il vraiment fait pour être à la mode ? Son essence, c’est d’être sincère, fragile, fugace comme une étoile filante derrière les nuages. Alors, pour qui tend un peu l’oreille, la redécouverte de ces albums c’est une plongée dans la part la plus libre et la plus universelle de la musique : celle qui n’a jamais cessé de nous parler, même dans le silence.

Alors, la prochaine fois que tu te poses la question “quel album folk ressortir que personne ne connaît ?”, pioche dans cette liste. Que tu sois adepte du casque sur les oreilles dans le RER, amateur de vinyle à la lampe du soir, ou écoutant curieux en pleine nature, ces disques ont gardé ce don rare : celui de toucher, encore et toujours, à l’invisible.

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